Notre société fait face aujourd’hui à deux enjeux majeurs qui conditionneront son avenir : le réchauffement climatique et la transition énergétique. Ces enjeux sont directement liés, le réchauffement climatique est aggravé par les émissions de CO2 qui sont la conséquence de notre consommation excessive de ressources fossiles dans notre système énergétique, dont il est pourtant difficile de se passer malgré les conséquences climatiques et géopolitiques.
Cet article vise à réaliser un état des lieux de la situation actuelle à l’échelle mondiale et française en matière énergétique. Les chiffres sont, pour l’essentiel, issus du rapport 2021 de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) : « World Energy Balances Highlights 2021 ». Les chiffres présentés sont ceux de 2019.
L’utilité de l’énergie
Avant tout chose, il est important d’éclaircir quelques questions essentielles :
- Qu’est-ce que c’est, l’énergie ?
- À quoi sert l’énergie ?
- Comment classer les énergies ?
Définir le concept d’énergie
Wikipédia défini l’énergie ainsi :
L’énergie est un concept relié à ceux d’action, de force et de durée : la mise en œuvre d’une action nécessite de maintenir une certaine force pendant une durée suffisante, pour vaincre les inerties et résistances qui s’opposent à ce changement. L’énergie qui aura été nécessaire pour accomplir finalement l’action envisagée rend compte à la fois de la force et de la durée pendant laquelle elle aura été exercée.
Énergie, Wikipédia
Autant dire que pour un néophyte c’est assez obscure. Bien qu’il soit couramment utilisé, le concept d’énergie est difficile à appréhender. L’énergie n’est pas palpable, c’est la résultante d’une action et de la force nécessaire à la réaliser. C’est un outil physique très pratique mais dont la réalité nous est pourtant inaccessible. Si bien qu’en réalité la physique ne s’intéresse pas à la valeur de cette grandeur mais uniquement à ses variations, à travers le premier principe de la thermodynamique.
Le mot a été prononcé, comment parler d’énergie sans parler de thermodynamique ? La thermodynamique, la source de tous nos maux… Cette branche de la physique est sans doute la plus essentielle pour comprendre le monde [10]. Elle se base sur deux principes universels qui sont quasi philosophiques.
Voilà ce qu’est l’énergie : c’est la quantification de la transformation d’un système [6, 7]. Pour chauffer de l’eau il faut lui apporter de l’énergie. Il faut prendre de l’énergie à l’eau liquide pour la transformer en glace. La combustion de carburant libère de l’énergie qui est transformée sous forme de mouvement pour faire avancer la voiture. Bref, toute modification est un changement d’état de l’énergie. Le premier principe de la thermodynamique, dont l’écriture physique n’est pas explicitée ici car ce n’est pas utile, ne fait que reprendre la fameuse formule de Lavoisier.
Rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme.
Antoine Lavoisier
Finalement, les deux premières interrogations de ce paragraphe ne peuvent être résolues indépendamment, la définition de l’énergie est également sa raison d’être : quantifier les transformations. Par la suite, le terme d’énergie servira à regrouper sous la même grandeur des idées très différentes mais ayant un potentiel ou un but commun : transformer l’environnement.
Classement des énergies
D’un point de vue physique, il est courant de regrouper les formes d’énergie d’après leur nature.
- L’énergie cinétique traduit l’énergie que possède une masse en mouvement. C’est celle qui est exploitée par les éoliennes à travers le vent et qui est dépensée pour mettre en mouvement un véhicule.
- L’énergie potentielle de pesanteur est elle liée à l’altitude. C’est celle qui est exploitée par les barrages hydroélectriques de montagne et qui est dépensée lorsque l’on monte une côte.
- L’énergie chimique traduit les réactions chimiques possibles et le potentiel à libérer de la chaleur. C’est celle qui est exploitée lors de la combustion de l’essence.
- L’énergie nucléaire qui représente le potentiel énergétique d’une réaction nucléaire.
- L’énergie électromagnétique, celle exploitée par l’électricité mais également celle que nous envoie le Soleil.
Ce point de vue est cependant limitant lorsqu’il est question de comprendre notre consommation énergétique actuel. C’est pourquoi, on classe généralement les énergies en quatre catégories [4] :
- Énergie primaire, celle qu’on trouve dans la nature. Par exemple : le pétrole, le charbon, le gaz, l’uranium (nucléaire), le vent, le soleil, l’hydroélectricité, la biomasse…
- Vecteur énergétique, le moyen pour transporter l’énergie. Par exemple : l’électricité, l’hydrogène, mais aussi le pétrole, le charbon, le gaz, l’essence, le bois… Une énergie primaire peut également être un vecteur énergétique, c’est d’ailleurs le cas des énergies fossiles et c’est l’un de leur avantage majeur.
- Énergie finale, celle qu’achète le consommateur. Par exemple : le gaz, l’électricité, l’essence…
- Énergie utile, celle dont on se sert vraiment : la chaleur, l’électricité ou le mouvement.
Tendances de fond
Maintenant que nous avons acquis les connaissances élémentaires, intéressons nous aux tendances profondes en terme de consommation. La figure suivante présente la consommation énergétique mondiale regroupée par type d’énergie primaire. A l’instar de ce qui a été fait par Jancovici [4, 5], ces données sont issues de statistiques de la société British Petrolium.
Évolution à long terme
Il est difficile d’obtenir des séries longues ou des estimations avant les années 60. Pourtant d’après les graphiques montrés par Jancovici [5], on constate des ruptures de tendance importantes à la hausse : à la fin du XXe siècle et à la fin de la seconde guerre mondiale (trente glorieuses). Ces ruptures de tendance sont le signe d’un renouveau technologique : démocratisation du charbon (autour de 1900) puis du pétrole après la guerre.
Une rupture à la baisse est également constatable dans les années 1970, suite aux chocs pétroliers de 1973 et 1977. Ces années là, la consommation énergétique mondiale stagne voire régresse légèrement. On vient de toucher du doigt une limite : le pétrole n’existera pas toujours. A partir des années 1970, le rythme de croissance de la consommation énergétique mondiale diminue mais on utilise tout de même toujours plus de charbon, de pétrole et de gaz.
On peut constater sur la figure ci-dessus que toutes les sources d’énergie primaire sont en croissance. Il n’y pas de substitution de l’une par l’autre mais une accumulation. Le charbon n’a pas disparu, contrairement à ce qu’on peut penser en France. Il reste très présent dans les pays émergents et même en Europe. Le pétrole est, lui aussi, de plus en plus utilisé dans le monde. Quant au gaz, il est en pleine expansion. La sortie du charbon et du pétrole ne passera pas sans une augmentation de la consommation de gaz, dont l’approvisionnement est pourtant tendu.
Les raisons de l’utilisation du pétrole
Le charbon est une énergie domestique, il y en a à peu prêt partout mais il se transporte assez mal. Par conséquent on l’utilise sur place, pour produire de l’électricité ou pour se chauffer. Il sera alors très difficile de convaincre un pays qui a du charbon sur son sol de ne pas l’utiliser pour des raisons écologiques lorsque les cours des autres énergies augmenteront. Même en France, la production électrique de centrales à charbon va augmenter l’hiver prochain…
Le pétrole se transporte très bien sur de longue distance (oléoduc, pétrolier), possède une formidable densité énergétique (34 MJ/L pour l’essence), et surtout est liquide. Tous ces avantages font du pétrole la solution technologique idéale dans le domaine du transport, associé à un moteur à combustion. Ces avantages majeurs font qu’aujourd’hui une transition vers des solutions plus écologiquement vertueuses ne se fait pas sans conséquence en terme de confort (vélo : effort physique ; véhicule électrique : faible autonomie, prix à l’achat plus élevé).
Le gaz est utilisé depuis plus récemment car il était plus difficile à extraire, mais il possède de nombreux atouts communs avec le pétrole. En particulier, au prix de l’installation d’un réseau de gazoduc, on peut facilement le transporter dans chaque foyer, et ainsi remplacer le charbon pour le chauffage et la cuisine. Les centrales thermiques à gaz ont également le bon goût de pouvoir démarrer très rapidement, ce qui rend leur utilisation quasi indispensable en cas de pic de consommation électrique. C’est pour cette raison, et pour faire face à l’intermittence de l’éolien et du solaire, que de nombreux pays comme l’Espagne ou l’Allemagne ont augmenté leur consommation de gaz dans le cadre de leur politique de transition énergétique.
L’hydroélectricité nécessite des compétences importantes en génie civil et surtout des sites naturels adaptés, si bien que le développement de ce moyen de production est lent et limité. Ce malgré les atouts de cette énergie : renouvelable, pilotable, stockage intrinsèque. En France, il n’existe plus de site adapté à ce type d’installation. D’autant que ces installations sont lourdes de conséquence pour la biodiversité environnante, ce qui mène à des contestations importantes lorsqu’un projet est dévoilé.
Le nucléaire est l’énergie avec la densité énergétique la plus forte (1,5 TJ/L), cependant c’est également la plus difficile à manier et la plus dangereuse. C’est pourquoi, peu de pays en font un usage dans la production électrique, car les installations nécessaires sont lourdes et les enjeux de sureté très importants afin de minimiser le risque. En outre, les programmes nucléaires civils sont très contrôlés car ils sont liés aux programmes nucléaires militaires. Tous ces enjeux font que cette énergie, bien qu’ayant des avantages majeurs, se développe peu à l’échelle mondiale. La France fait sur ce point figure d’exception.
Enfin les EnR, ce sigle signifiant énergie renouvelable désigne dans les faits essentiellement l’éolien, le solaire et la biomasse. La biomasse est l’énergie primaire la plus vieille du monde, l’humanité utilise du bois depuis que l’Homme sait faire du feu. En réalité, l’utilisation de biomasse varie très peu au cours du temps, car très dépendant des forêts et des récoltes, le maximum d’exploitation possible est atteint voire dépassé dans de nombreuses régions du monde. Par contre, l’éolien et le solaire se développent, même si cela reste pour le moment anecdotique en comparaison de la consommation mondiale. Les inconvénients majeurs de ces moyens de production étant que la source d’énergie est diffuse et les installations nécessitent beaucoup de technologie. Ainsi, il faut une grande dépense en ressources, en espace et en énergie pour obtenir en retour de l’énergie qui, de plus, est intermittente. En d’autres termes, du point de vue climatique ces solutions sont pertinentes et nécessaire, mais du point de vue purement énergétique elles ont énormément d’inconvénients.
Modification de l’usage final
Si l’on regarde maintenant la consommation par le biais de l’énergie finale entre 1971 et 2019, d’après les chiffres de l’AIE, on constate une électrification des usages. La part du charbon et du pétrole dans l’utilisation finale a diminuée au profit de l’électricité. Attention à ne pas se réjouir trop vite, l’électricité est produite, à l’échelle mondiale, essentiellement à base de… charbon et de gaz. On constate cependant un augmentation de l’usage final du gaz en défaveur de la biomasse, l’une des hypothèse est que l’on se chauffe de moins en moins avec une cheminée et de plus en plus au gaz. En conclusion, l’usage change, mais on ne peut pas conclure quant au bien fait de ce changement.
Les flux d’énergie
Afin de mieux comprendre d’où vient l’énergie et ce qu’on en fait, il est bon de représenter les flux d’énergie entre les différentes étapes. On comprend alors l’importance de distinguer les énergies primaires par leur usage final. Dans le diagramme suivant, le terme EnR regroupe l’éolien, le solaire et l’hydroélectricité.
Sur ce diagramme de Sankey, on peut constater l’importance du pétrole dans le secteur des transports. Le pétrole est la source majeure d’énergie dans ce secteur d’activité, et réciproquement, l’essentiel du pétrole est utilisé dans le secteur des transports. A l’inverse, le secteur résidentiel utilise beaucoup de biomasse (bois) et c’est dans ce secteur que va l’essentiel de ce flux. Le charbon est ainsi essentiellement utilisé pour produire de l’électricité, une part non-négligeable termine cependant dans l’industrie, en particulier dans les haut-fourneaux pour servir à la fois de source de chaleur et de carbone (coke) pour la fabrication de l’acier.
La production d’électricité est encore pour une large part carbonée, en particulier avec le charbon et le gaz. On peut noter l’importante perte d’énergie lors de la production électrothermique, cela est dû au fait que, mis à part les EnR, l’électricité est produite par des centrales thermiques. Ces centrales sont soumises aux principes de la thermodynamique, en particulier le second qui limite l’énergie utile extractible dans un cycle thermodynamique à un rendement d’environ 1/3, le reste étant perdu en chaleur. La chaleur peut toute fois être récupérée pour être utilisée comme tel, on parle alors de centrale à cogénération. Ce procédé reste aujourd’hui marginal même si un important potentiel existe.
Ce type de représentation permet de mettre en avant les secteurs clés dans le cadre d’une transition énergétique : la production d’électricité et de chaleur, et les transports.
Le cas français
La France est un pays particulier, d’une part car c’est un pays développé et d’autre part car son électricité est aujourd’hui quasi décarbonée grâce à son importante production nucléaire, même si la production électrique française est aujourd’hui à un moment clé de son histoire [3, 8, 9]. De plus, se focaliser sur la France permet de pousser les analyses plus loin avec des données plus fines, en particulier sur l’utilisation réelle de l’énergie finale. Afin de tenir compte de l’utilisation réelle de l’énergie, une adaptation des données de négaWatt a été réalisée, les chiffres de l’énergie utile ne sont donc pas consolidés mais permettent tout de même d’observer des tendances.
On peut constater sur ce diagramme que la France importe l’essentiel de son énergie, « on a pas de pétrole mais on a des idées » comme dit le slogan. L’importation d’énergie nucléaire peut paraitre importante mais il faut noter tout d’abord que l’on importe de l’uranium brut qu’il faut ensuite enrichir sur notre sol pour produire le combustible nucléaire, et d’autre part que l’uranium est très dense en énergie, de fait ces 4 EJ représentent autour de 50 t d’U-235 par an.
Notons d’abord les similitudes avec le reste du monde : le transport et le pétrole sont extrêmement liés, de même avec la biomasse et le résidentiel, enfin l’électricité et le gaz inonde tous les secteurs. Quelques différences notables maintenant : la production électrique est majoritairement nucléaire, le charbon est très peu utilisé.
Si on observe l’énergie utile, on se rend compte que l’essentiel de l’énergie sert au chauffage. Ce besoin de chauffage pourrait être en grande partie couvert en exploitant l’énergie perdue dans les centrales thermiques (ici nucléaire) en développant la cogénération avec un réseau de transport de chaleur adapté. Le gaz servant dans la plupart des cas à la production de chaleur, cela constituerait une alternative à cette énergie finale carbonée. La problématique du pétrole, quant à elle, est identique à l’échelle mondiale, trouver une alternative au pétrole dans les transports n’est pas aisé. Cela ne doit pas empêcher la France et l’Europe d’être pionnières en la matière, même si on pré-sent d’ores et déjà que cela ne se fera pas sans une modification des habitudes individuelles car le pétrole n’a pas d’équivalent pour cet usage.
Conclusion
Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout. Il est assez dense, l’objectif était ici de poser les bases de la réflexion. Aucune réelle solution pratique n’est explorée dans le détail et il y a encore des points à approfondir, c’est volontaire. Vous en savez désormais plus sur l’énergie à l’échelle du monde et touchez du doigt les enjeux associés. La question de l’énergie est large, complexe, technique mais aussi philosophique, le futur nous dira quels choix nous avons pris aujourd’hui.
Sources
Cette article est basé, entre autre, sur les sources ci-dessous. Aucun de ces liens n’est réservé à des experts du domaine. Au contraire, Jean-Marc Jancovici, Le Réveilleur et Monsieur Bidouille sont des vulgarisateurs scientifiques, n’hésitez pas à aller voir leur travail (qui est bien plus fourni que celui-ci).
- [1] World Energy Balances Highlights 2021, Agence Internationale de l’Énergie (AIE), https://www.iea.org/data-and-statistics/data-product/world-energy-balances-highlights
- [2] World Energy Outlook 2021, Agence Internationale de l’Énergie (AIE), https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2021
- [3] Futur Énergétique 2050 – principaux résultats, Réseau de Transport d’Électricité (RTE), octobre 2021, https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques
- [4] Vous êtes plutôt primaire, ou plutôt final ?, Jean-Marc Jancovici, 1 août 2014, https://jancovici.com/transition-energetique/vous-etes-plutot-primaire-ou-plutot-final/
- [5] A quoi ressemble notre consommation énergétique actuellement ?, Jean-Marc Jancovici, 1 septembre 2003, https://jancovici.com/transition-energetique/l-energie-et-nous/a-quoi-ressemble-notre-consommation-energetique-actuellement/
- [6] L’énergie, de quoi s’agit-il exactement ?, Jean-Marc Jancovici, 1 août 2011, https://jancovici.com/transition-energetique/l-energie-et-nous/lenergie-de-quoi-sagit-il-exactement/
- [7] L’énergie et nous – Énergie#1, Le Réveilleur, 17 avril 2018, https://www.lereveilleur.com/lenergie-et-nous/
- [8] Quelle électricité pour demain ?, Le Réveilleur, 21 décembre 2021, https://www.lereveilleur.com/quelle-electricite-pour-demain/
- [9] La transition énergétique au cœur d’une transition sociétale, Association négaWatt, https://www.negawatt.org/Scenario-negaWatt-2022
- [10] Machines thermiques, Monsieur Bidouille, https://www.youtube.com/watch?v=lpGmwNewze8&list=PLhJvo3IHUgTMC5ehVgxBswl786lLTfp_9
Toutes les figures de cette article sont de création personnelle et sont protégée par une licence CC-BY-NC. Vous pouvez les partager et les modifier tant que vous citez l’auteur et que l’utilisation n’est pas commerciale.
Image de couverture : Morgre, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons